
Mon choix
A l’arc traditionnel, je pratique le tir instinctif. J’ai adopté un style hybride entre celui de Jean-Marie Coche et de Fred Asbell. Cette pratique implique l’observation de soi-même. En effet, la focalisation sur la cible est autant importante que le regard sur soi. Ce dernier est essentiel pendant et hors de l’activité de tir. Il permet de comprendre nos réactions et de mieux centrer nos flèches au centre d’une cible. De cette réflexion, se développe une réelle connaissance de soi.
Deux voies distinctes
Le tir instinctif se pratique dans deux disciplines différentes, l’activité sportive et la chasse. Le but recherché dans chacune d’elle n’est pas identique. Par la modernisation de l’archerie durant le siècle passé, on comprend facilement que le matériel s’est adapté à ces deux mondes de deux façons distinctes. De plus, la technique d’entrainement est différente. Par conséquent, il n’est pas pertinent de comparer ces deux disciplines.
La voie sportive
Le tir à l’arc en tant que sport discipline le corps et l’esprit pour atteindre très précisément le centre de la cible le plus précisément avec de nombreuses flèches. En fait, il s’agit d’une forme d’endurance. Afin de faciliter un vol de flèche centré, un matériel de pointe et parfaitement réglé est de rigueur. Durant le dernier siècle, ce dernier a beaucoup évolué dans ce sens.
La voie du chasseur
Le tir à l’arc de chasse se concentre sur un seul tir court, parfois sur un terrain très irrégulier. Même si l’évolution de cette autre activité est aussi existante, son origine est bien plus vieille. Là où le sport travaille le mental sur la longueur, la chasse s’en tient à un bref instant, intense mais décisif. L’énergie cinétique a bien plus d’importance dans le choix du matériel. En effet, elle détermine la pénétration dans le gibier par la flèche.
Ma propre voie
En Suisse, le tir à l’arc est un sport car cette méthode de chasse est prohibée. Même si je reste tireur sportif, je pratique ma passion comme un chasseur. Selon les lois de la physique, une flèche décochée à l’arc traditionnel à plus de 30 mètres à 50 livres peut plus facilement blesser qu’être mortel sur un gibier. En effet, l’arc est une arme. Je tiens à conserver le but de cette invention millénaire dans ma méthode d’entrainement afin de correspondre à son origine et non à son évolution.
Ma gestuelle
Je pratique le tir instinctif avec une position initiale détendue, les bras relâchés. Il me semble essentiel d’avoir les muscles relaxés pendant que je me concentre sur la cible. Quand je sens que mes yeux se focalisent et ne voient plus qu’elle, je pousse avec le bras d’arc et je tire la corde avec le bras côté œil directeur sans geste brusque. Une fois à l’ancrage suivi d’un bref instant de stabilisation du mouvement, je décoche. Il ne faut en aucun cas chercher à aligner flèche et cible. En réalité, mon cerveau donne les ordres nécessaires à mes muscles pour coordonner ma vision, mon arc et ma flèche.
Mon état mental
Si le résultat est mauvais mais que j’ai confiance en mon matériel, je suis le seul responsable. A ce moment, je me remémore une phrase capitale. Quel que soit le résultat, il y a toujours une nouvelle occasion de s’améliorer lors de la flèche suivante. Bien sûr, je n’y arrive pas toujours. Avec de l’entrainement, lorsque je me stabilise dans cette forme de concentration sereine, j’atteins aisément de bonnes performances. Chez moi, cet état implique de ne pas tenir compte du résultat par une réaction émotionnelle. Je tente d’occulter l’anticipation du résultat et la pensée d’un possible échec. Je garde en mémoire à chaque tir que cet exercice est un idéal et non un état constant. Son but est d’obtenir une recherche constante d’amélioration de ma gestuelle et non de l’impact de la flèche. En effet, je ne suis pas un robot et je dois accepter que mon mental, même entrainé exercera toujours une influence à l’instant où j’arme mon arc.
Mon armement
Pour moi, la vitesse n’a pas d’importance à l’armement pour autant que ma concentration reste bien sur le point de cible. Armer rapidement est une compétence qui s’acquière avec le temps et l’expérience. Quand les flèches se plantent de manière groupée au point voulu, elles prouvent l’assurance d’une gestuelle maîtrisée avec excellence. Avant ça, il faut la travailler. C’est pourquoi, j’arme avec une lenteur qui me semble optimale afin de mémoriser mes gestes. Elle permet au cerveau de correctement visualiser mon corps. Par conséquent, je suis davantage conscient de mon action. Evidemment, il reste important d’armer à la vitesse qui me permette de garder de l’énergie et qui ne me déséquilibre pas par inertie du matériel. Je dois gagner mon point d’ancrage avec une certaine aisance et précision. Cette force résiduelle est nécessaire pour avoir l’esprit vif et détendu. Cet état aiguisé donne la possibilité de corriger en une à deux secondes la position de mon bras. Je cherche à acquérir une stabilité suffisante. Je donne l’assurance à mon esprit que mon corps exerce ce que le cerveau lui commande.
Du départ de ma flèche à la compréhension de son impact
Et là, survient la décoche. Mon regard est toujours fixé sur la cible. Je perçois la flèche qui vole vers elle et finit par s’y planter. Ce moment est crucial pour apprendre ce que vaut mon tir. Je reste immobile et enregistre ce que je vois. Dans cette phase, je constate trois phases qui différencient mon interaction avec ce que je perçois visuellement. Dans un tir d’entrainement initial, je ne vois que moi et mes mouvements. J’analyse ma gestuelle. Par cette démarche, j’apprends à savoir si le tir est bon même si la flèche se plante en dehors du point visé. Lorsque je groupe mes flèches au même endroit mais en dehors de mon point visé, je sais que ma gestuelle est identique à chaque tir. J’appelle un tir de confirmation quand je suis capable de me voir moi tout en prenant en compte de manière consciente le résultat afin d’affiner les tirs. Je continue à tirer tout en me rappelant la flèche précédente. Si je corrige volontairement, je vais accentuer la correction du déplacement de la flèche dans la cible donnant à mon tir une erreur préméditée. Un tir maîtrisé tient compte de ma gestuelle sans m’y plonger. Toute la concentration est sur ma cible. Je dois arriver à la décrire si précise et petite soit-elle. Je sais sans réfléchir quel détail est défaillant dans tous les mouvements qui ont précédé le tir. Je peux sans difficulté le corriger. Normalement, à ce stade, j’obtiens des résultats probants en cible et du plaisir. Pourtant, je passe par tous ces stades volontairement de manière consécutive en fonction de la fréquence de mes jours d’entrainements. Mon état d’esprit est l’élément clé. Il est le garant de l’assurance que je peux appliquer à mes tirs. Par conséquent, l’échelle de résultat que je me fixe doit être en adéquation avec mon état d’esprit. En résumé, je travaille plus efficacement la technique de mon tir si j’accepte l’état dans lequel je me trouve dans l’instant présent car je suis capable d’accepter en toutes circonstances mes différences de résultats.
Le calme à l’intérieur de moi
Je suis persuadé qu’obtenir le calme à l’intérieur de moi pendant le tir mais surtout le plus souvent possible au quotidien permet d’armer mon arc vite mais souple pourtant. Cette gestuelle est pour moi un regard sur moi-même. Dans le tir à l’arc, cette vision de ma personne me remet en question pour parvenir à de meilleurs résultats et à accepter l’éventuel échec. Après l’avoir accepté, il perd son nom d’échec et acquière celui de tremplin vers une potentielle réussite. Dans ma vie, il m’amène à mieux me comprendre en tant qu’homme.
Mon avis
Le tir instinctif n’est pas une pratique figée où une seule technique règne en maître se proclamant être l’origine et la réussite. Elle est dictée par un certain nombre de règles qui donne au novice des clés pour progresser assurément. En effet, un mauvais apprentissage provoque des habitudes difficiles à changer. Globalement, la plupart des archers instinctifs suivent les mêmes enseignements. Pourtant, chacun a un style différent. Chaque archer confirmé a une technique et une gestuelle qui lui sont propres après le stade d’apprentissage pendant lequel il faut peaufiner des bases et passer par le stade de la répétition. J’accepte ces différences sans vouloir fixer une loi. Si cela prouve plus de résultats en cible, ce n’est pas forcément une réalité universelle. Une fois les bases apprises, je dois pouvoir remettre en question ma technique pour m’améliorer. Evidemment, le temps devient plus long pour obtenir de meilleures flèches mais l’apprentissage est davantage axé sur la connaissance de soi.
Pour conclure
Le tir à l’arc instinctif est ma passion parce qu’elle permet de me recentrer. Elle a les caractéristiques d’une ancre qui me maintient les pieds sur terre. Cette pratique balistique vise avant tout la symbiose entre un utilisateur et son outil. La cible est au second plan. Il est important de constater le résultat pour l’utiliser comme une information plutôt que de le réduire à une quête au trésor rempli de points, nourrissant l’égo et contraint à se battre sans cesse pour obtenir un meilleur résultat. Je ne souhaite pas imposer cette vision à tous les archers. De plus, je comprends entièrement que le tir à l’arc soit une raison de faire des points en cible. Pour autant que ça apporte du plaisir, c’est une évidence comme dans d’autres sports de compétition. Je souhaiterais pouvoir partager ma passion du tir à l’arc sans que le concours soit une raison principale pour en parler et en dicter les manières. Chacun a sa propre vision du tir à l’arc instinctif et aucune n’a plus valeur qu’une autre.
Bastien Favre & Henri Meister